Photo : furoshiki avec pour motif le dessin d’une artiste de Toba.
Mes équipes se préparent à une mission en France mi-octobre. Si on ne compte pas le temps de transport nécessaire pour arriver en France, cette mission va durer trois jours. Oui, vous avez bien entendu, trois jours. Pas de temps à perdre. Dans la liste de toutes les choses nécessaires pour ce voyage et les formalités sur place, il y en a une en particulier qui a retenu mon attention: c’est celle des cadeaux.
Trois à quatre mois avant la mission, il s’agissait de se demander qu’est-ce que nous allions offrir aux Français lors de notre passage ?
Plus qu’une simple formalité, j’aimerais vous montrer dans cet article que c’est un beau témoignage de la façon de penser les relations humaines à la japonaise.
Allons-y !
De Pink Martini au kimochi
Je commencerai par une anecdote. Paris, avril 2013, je participe au concert de Pink Martini au Grand Rex. A ce moment, le groupe avait sorti un album en collaboration avec l’artiste japonaise Saori Yuki.
En plein concert, après avoir joué quelques chansons les plus connues nous apprenons que l’artiste japonaise est présente et va jouer pour nous ce soir. Belle surprise ! Cris de joie dans la salle.
Trois chansons plus tard, voilà qu’une personne du public, un Japonais qui s’était éclipsé de la salle, revient avec trois énormes bouquets de fleurs qu’il remet aux artistes sur scène.
Dans ma tête, je ne parvenais pas à y croire. Ce fan est sorti du lieu du concert. Il a manqué trois chansons d’une de ses artistes favorites et il a réussi à trouver dans ce temps record un fleuriste, à payer ses trois énormes bouquets et à revenir dans la salle. J’étais émue par ce geste. Et je me suis surprise à penser « Il n’y a que les Japonais pour faire une chose pareille ».
Ce qu’il faut retenir c’est que le cadeau, ces fleurs, ne sont finalement qu’un réceptacle de la valeur sentimentale que ce fan a voulu transmettre aux artistes, quitte à manquer un moment précieux du concert.
On touche ici au kimochi (気持ち). Une traduction simple du mot serait « sentiment » mais le mot kimochi englobe d’autres aspects qui se rapprochent des notions de pensée, de considération, de gratitude. On peut transmettre beaucoup de choses en parlant de kimochi.
Pour ceux qui apprennent le japonais voici un bon exemple des cours de la NHK avec l’expression :
«これ、ほんの気持ちです。»
Kore, honno kimochi desu.
Voici un petit quelque chose.
Je pourrais traduire littéralement par « Voici mon simple sentiment » mais cela ne renvoie pas la même impression en français. En France quand nous offrons un cadeau, nous préférons minimiser, euphémiser en parlant de quelque chose de petit. Au Japon, on parle de ce que l’on ressent et donc du kimochi envers la personne.
Le kimochi dans la sphère publique et professionnelle
Aux premiers abords, il est plus difficile pour des personnes qui ne connaissent pas la culture japonaise de comprendre que le sentiment, la considération envers les autres que j’ai évoqués à travers le mot kimochi ne se cantonnent pas à la sphère privée. Le kimochi est aussi omniprésent dans le contexte professionnel.
J’en avais parlé à mon arrivée avec l’utilisation des formules de politesse . Au Japon il ne suffit pas d’être poli, il faut sincèrement penser ce que l’on dit et y mettre du cœur. La politesse est intimement liée aux émotions et au respect des autres.
L’importance du kimochi va se retrouver dans le cadeau que l’on offre . Rappelez vous la rhétorique souterraine qui s’opérait tous les jours à mon travail avec les échanges de friandises entre collègues. Cette pratique est un atout non négligeable pour tisser des bonnes relations.
Réfléchissons à un cadeau
Les échanges de cadeaux font partie du ciment de toute société. Alors, dans le contexte de la venue d’une délégation japonaise en France, que pouvons-nous apporter ?
Là où le Français dirait peut être « une bonne bouteille de vin fera l’affaire », la délégation japonaise souhaite offrir à un plus grand nombre donc, pas question d’apporter 100 bouteilles de saké mais l’idée est d’offrir un cadeau qui permettra de marquer notre passage, notre empathie et notre identité.
Nous partons sur l’idée d’un cadeau traditionnel japonais qui pourrait faire plaisir au Français tout en y ajoutant la touche personnelle et plus locale de notre ville. Alors que faire ?
On pourrait acheter 100 marques page en papier d’Ise (伊勢和紙) ou de la corde d’Iga colorée ( 伊賀組紐) mais non, il faut aller plus loin que cela. Il faut montrer que l’on a mis du kimochi, du cœur à réfléchir à ce cadeau. On ne choisira pas la simplicité.
Là où les cadeaux deviennent une histoire
Nous y avons réfléchi ensemble et tout le monde a été consulté. Au final, nous partons avec deux cadeaux.
Le premier est un furoshiki (風呂敷)
Photo : furoshiki noué pour en faire un sac
Il coche la case du cadeau typiquement japonais car il s’agit d’un tissu qui sert à transporter des objets de la vie quotidienne et qui est utilisé au Japon depuis des siècles. Il sert aussi à transmettre ses sentiments (le fameux kimochi) lorsqu’il enveloppe des cadeaux. Aujourd’hui, cette pratique est redécouverte car elle est respectueuse de l’environnement vu qu’elle permet de réduire l’utilisation d’emballages.
Pour le motif du furoshiki nous avons choisi une artiste de Toba, Haruka Ohta, qui a dessiné différents types d’algues qui représentent la diversité marine de notre ville. Nous rajouterons enfin un message sur le furoshiki « Our future is in the sea » pour marquer l’attachement des habitants à protéger la mer qui les entoure.
Le deuxième cadeau est un porte clé fabriqué à travers la technique de tissage mizuhiki (水引)
Photo : différents noeuds avec la technique du mizuhiki
Pas de lien direct avec la ville de Toba mais la symbolique est importante. Dans le mizuhiki, des cordelettes de papier sont tressées pour réaliser des nœuds décoratifs que l’on voit souvent sur les enveloppes de cadeaux japonaises à l’occasion de cérémonies.
La même technique est aussi utilisée pour réaliser des objets de diverses formes. Ce n’est pas un hasard si cette technique traditionnelle japonaise symbolise le tissage de liens, la pureté et la chance. C’est un moyen de témoigner notre volonté de d’établir des liens durables avec la France.
Mais ce n’est pas tout.
Pour certains de l’équipe, nous avons appris la technique afin de réaliser nous mêmes le cadeau qui n’est autre qu’une tour Eiffel tricolore. 4 h de cours auront été nécessaires sans compter le temps de confection des 100 porte clés tour Eiffel.
Photo : une Tour Eiffel tricolore en mizuhiki
Je vous épargne les réflexions sur la présentation et les explications écrites à donner par rapport aux cadeaux. C’est un vrai investissement en temps et en main d’œuvre. D’ailleurs le prix par cadeau n’est pas négligeable. Il constitue une part importante du budget de la mission.
Le résultat, c’est que nous n’offrons pas des cadeaux. Nous offrons des cadeaux recouverts d’une histoire. Nous pouvons en toute sincérité expliquer comment nous nous sommes impliqués à chaque étape pour les réaliser. Tout cela avec l’espoir que derrière ce cadeau, nos interlocuteurs français comprennent le kimochi qui en est devenu une partie intégrante.
Difficile de ne pas être touché par une telle attention. La culture japonaise marque ici des points. L’attention portée à autrui est plus que valorisée, il est un vecteur pour grandir socialement ou devrais-je dire internationalement.
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