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Expérience, Zoom interculturel

Traduire : une démarche interculturelle

 

          Il y a un domaine dans lequel je me suis lancée récemment, c’est la traduction du japonais vers le français. J’ai la chance de connaître des traductrices qui m’ont apporté plein de conseils. Vaste sujet tout de même ! Sans rentrer dans les profondeurs des différentes écoles de pensée en traductologie et dans des débats qui s’adressent aux initiés, je vous partage mes premières découvertes, en espérant que cela permette de mieux comprendre ce métier qui est mal connu.

Plus j’apprends en traduction, plus je me rends compte qu’il y a un rapprochement à faire avec la démarche interculturelle.

 

Qu’est ce que j’entends par la démarche interculturelle ?

Avoir une démarche interculturelle, ce serait accepter la rencontre de sa réalité subjective avec celle d’une autre ou d’autres personnes.

D’un côté, ce serait faire abstraction des raccourcis et des jugements qui nous gouvernent, tout en reconnaissant qu’ils influencent quand bien même notre interprétation. De l’autre, ce serait faire preuve d’ouverture, ce serait sincèrement accepter qu’une culture peut-être différente de la nôtre et arrêter de se dire que les autres “devraient penser comme nous”.

 

Dans cette logique, il y a autant de réalités subjectives qu’il y a d’humain sur la planète.

 

  Avoir une bonne maîtrise de sa langue maternelle 

Revenons à la traduction. Pour traduire, en dépit des apparences, il ne suffit pas seulement de bien parler une langue étrangère et connaître la culture qui lui est associée. De la même façon, pour adopter une démarche interculturelle, il ne suffit pas d’avoir beaucoup voyagé.

 

Il y a dans les deux cas un pré-requis : bien connaître sa propre langue et sa culture.

Car on peut facilement avoir envie d’interpréter une nouvelle culture avec ses connaissances, tout comme on peut passer des heures à se noyer dans les méandres des subtilités d’une langue que l’on a apprise, mais on oublie qu’il faut, avant tout, bien se connaître soi-même et dans le cas de la traduction bien connaître sa langue maternelle. Il faut d’ailleurs la connaître dans les moindres recoins. C’est la maîtrise de sa langue et le la rigueur qui sont au cœur de la traduction.

 

« Tendre » vers une traduction pertinente

Soyons réalistes. Un traducteur n’a pas les mêmes valeurs, croyances, et connaissances que la personne qui a écrit le texte. Il n’a pas non plus nécessairement les mêmes centres d’intérêts. La richesse de la langue est telle, que les traducteurs se spécialisent dans certains domaines qui leurs sont familiers.

 

Il existe aussi un grande variété de styles ( technique, juridique, journalistique…) avec sans doute le style littéraire vu comme le plus difficile à traduire.

 

Le traducteur va donc faire preuve de concentration pour produire une interprétation qu’il souhaite la plus pertinente possible. Il va devoir s’informer, décoder le message initial et le retranscrire avec rigueur.

 

De la même façon, dans l’approche interculturelle, le but est de tendre vers l’impartialité ce qui n’est pas si évident en apparence. Dans les deux cas nous ne pouvons que “tendre”, et le degré de précision augmente avec l’expérience.

 

Il y a cependant une différence de taille en traduction, c’est qu’une bonne traduction demandera toujours un effort supplémentaire d’interprétation par rapport à la communication verbale.

 

Plus simplement, nous n’attendons pas la même chose d’un texte par rapport à une conversation. Si on peut donner une interprétation approximative à l’oral, l’instantanéité nous le pardonnera mais on ne peut pas donner une interprétation approximative à l’écrit sous peine de rendre illisible le texte.

 

Une nécessité de reconnaître ses propres biais

Si comme on vient de le voir on connaît les difficultés d’interprétation qui relèvent d’un texte, il faut aussi garder en tête que même après des efforts pour tendre à décrire les situations avec impartialité, personne n’est à l’abri de ses propres biais. L’important est de les reconnaître. C’est un premier pas vers une démarche interculturelle. Et la même logique se prête à la traduction.

 

Voici un exemple très concret. J’ai traduit récemment un article sur la popularité du jeu Pokémon Go. L’article se terminait avec le constat que les joueurs n’étaient pas seulement des jeunes et qu’à Tokyo on trouvait des personnes âgées dans le quartier de Sugamo qui s’échangeait leurs monstres. Quand j’ai vu le mot « personnes âgées », j’ai eu un premier raccourci (personnes âgées = joueur = incohérence). Dans mon inconscient, une personne de 80 ans ne va pas jouer aux jeux vidéos et je me suis mise à traduire le mot japonais par « quarantenaires », voire « seniors » dans le meilleurs des cas. C’est jusqu’à ce que je demande conseil à une amie japonaise. Elle m’a de suite dit que le quartier de Sugamo a une connotation forte. C’est le quartier où se retrouvent « les pépés et les mémés ».

 

L’image était donc beaucoup plus claire et j’ai compris que je m’étais fait avoir par mes propres jugements.

 

Une apologie du détachement

Dans la démarche interculturelle, il faut bien connaître sa propre culture et ses limites, et donc ce qui nous définit comme appartenant à cette culture pour mieux pouvoir s’en détacher.

 

De la même façon, en traduction il faut parvenir à se détacher du texte d’origine, de cette envie de le traduire mot pour mot. Il faut en faire un texte nouveau, élégant, fluide, qui va parler aux personnes de sa culture.

 

C’est l’erreur de tout débutant en traduction : avoir peur de s’éloigner du texte d’origine ou de passer à côté d’une subtilité ou pire de faire un contre-sens. Le résultat est un texte mal aisé à lire, qui fatigue le lecteur. Même s’il est grammaticalement correct, il manque de fluidité et dessert l’argument de l’auteur.

 

On ne pourra pas seulement transposer une langue dans une autre. Il faut revenir au sens premier, le recomposer, et rédiger à nouveau le texte.

 

J’y vois un nouveau point commun avec la démarche interculturelle où il faut arriver à prendre du recul, à faire l’exercice d’analyser une situation d’un point de vue totalement externe, et apprendre, peu à peu, à recomposer sa position. Comme pour préserver la richesse d’un texte, ici on cherche à préserver la richesse de l’échange culturel.

 

Une capacité à se mettre à la place de l’autre

Une analogie que j’aime bien en interculturalité est celle de la promenade. Imaginez que vous partez en balade avec quelqu’un d’une autre culture que vous, disons par exemple, d’une autre nationalité. Si vous passez des heures à marcher ensemble, à discuter pour mieux vous connaître, c’est faire preuve d’ouverture d’esprit et de curiosité. Adopter une démarche interculturelle, ce serait aussi bien passer des heures à marcher ensemble mais pour cela, vous décidez de chausser les chaussures de l’autre. Attention aux ampoules !

En traduction il y a toutefois une différence, le traducteur doit bien comprendre la culture du pays d’origine mais dans son cas il doit se mettre à la place du lecteur.

 

C’est par exemple :

 

1/prendre le réflexe d’indiquer les valeurs dans la monnaie de la langue de destination en plus de la traduction du texte. Comme dirait une amie “savoir qu’un salaire correspond à 1341 yen de l’heure, cela me fait une belle jambe”.

 

2/ préciser des éléments de contexte. Par exemple le simple nom d’un lieu peut-être évocateur et pour un lecteur qui ne connaît pas le pays en question, il peut passer à côté de certaines informations. Si on parle du quartier de la Défense, on pense aux grands sièges d’entreprises, à un parc de bureaux et pas au square du quartier où se retrouvent les jeunes branchés (c’est un peu la même logique que l’exemple de Sugamo donné plus tôt).

 

3/ trouver des imaginaires de références dans sa culture d’origine. Comment traduire un jeu de mot, une référence à une personnalité qui n’existe que dans une culture etc.

 

Tous ces points me montrent que traduire est une pratique très riche. C’est à mon sens un voyage interculturel qui a l’avantage d’être économique en ces temps de restrictions de déplacements !

 

Pour ceux qui s’intéressent au sujet, pendant que j’écrivais ce post, j’ai trouvé un article de Corinne Atlan, traductrice et autrice qui explique bien mieux que moi les enjeux de la traduction. En plus vous apprendrez quelles sont les principales différences entre « les japonais et les français » en matière de romans. Elle a notamment traduit plusieurs romans de Murakami Haruki. Ceux qui connaissent l’auteur découvriront aussi des subtilités sur le style littéraire de Murakami.

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hongu taisha

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