Un autre regard sur le Japon

Expérience, Favoris

Tout ce que vous devez savoir sur les ama #1

Image : Creative Commons “Pearl Diver #2” by mrlins

 

        Le sujet des ama 海女, les femmes de la mer, est intéressant à plusieurs titres (historique, environnemental, traditionnel, technique …) mais surtout plus je lis sur le sujet, plus je vois qu’il n’est pas présenté de la même manière selon les sources. Il suffit par exemple de regarder l’article ama sur wikipédia en anglais puis la même page en français.

 

C’est une culture que je vais côtoyer, vu que la ville de Toba comptait presque 600 ama en 2007. Ce nombre a fortement baissé. Les dernières statistiques, datant de 2010, dénombre 2000 ama au Japon dont 750 pour les villes de Toba et Shima. En attendant de pouvoir pleinement creuser le sujet, j’aimerais essayer de brosser un portrait moins idéalisé des ama.

 

Qui sont les ama ?

Deux kanjis 海女 composés de la mer et la femme que l’on peut traduire par “les femmes de la mer”, plutôt simple jusqu’ici.

 

Ces femmes sont connues pour plonger en mer en apnée pour récupérer principalement des algues et des crustacés. Les traces de cette pratique remonterait à plus de 3000 ans à l’ère Jōmon. Il s’agit d’une pratique ancestrale avec une culture matriarcale. Car ce sont en majorité des femmes qui pratiquent ce type de pêche.

 

Les ama apparaissent dans divers récits et textes. C’est le cas des poèmes waka du recueil Man’yōshū du VIIIème siècle, dans l’Engishiki (延喜式) un recueil japonais de lois et de règlements qui date du Xème siècle, ou beaucoup plus récemment dans le livre de R. Guillain, que l’on m’a recommandé, l’Aventure Japon (source à la fin de l’article) qui a rencontré une communauté de femmes ama à Iwada sur la côte de Bōsō à Chiba. De façon plus imagée (et fantasmée), on retrouve des ama dans les peintures ukiyo-e, ces estampes de l’époque d’Edo (1603-1868).

 

Les ama ne sont pas des pêcheuses de perles

Le métier d’ama est un métier rude. Les pêcheuses cherchent à tirer un revenu de leur pêche et sont principalement à la recherche d’algues et de crustacés notamment des ormeaux (アワビ, awabi en japonais).

 

Les huîtres perlières sont un type d’huître bien spécifiques. Vous pouvez longtemps chercher la perle rare pour obtenir une perle de façon naturelle vu qu’une huître perlière sur mille donne…une perle. Les ama, il me semble, ont vite fait le calcul.

 

Plus concrètement voici ce que pêchent les ama :

Image : Site internet de la ville de Toba, brochure accessible sur la page de l’évènement 海女サミット2017in鳥羽

 

  1. アワビ awabi, les ormeaux
  2. トコブシ, un autre type d’ormeau, Sulculus diversicolor supertexta
  3. サザエ sazae, un genre de turbo, Turbo sazae
  4. イタボガキ, l’huître Ostrea denselamellosa (non perlière !)
  5. ワカメ algues wakame
  6. アラメ algues arame, Eisenia bicyclis
  7. 天草, Kanten, Gelidiaceae cette algue est notamment utilisée pour faire l’agar-agar
  8. ヒジキ algues hijiki, Hizikia fusiformis
  9. ナマコ : concombres de mer
  10. アカウニ : “oursin rouge”, Pseudocentrotus depressus
  11. イセエビ : langouste, Panulirus japonicus
  12. タコ : pieuvre
  13.  

Alors d’où vient cette idée que les ama pêchent des huîtres perlières ? Un portrait plus vendeur ? Sans doute. C’est là qu’entre en scène la star de la région : Kōkichi Mikimoto. Il est le pionner du développement de la culture de la perle dont la renommée est internationale (je n’ai pas encore eu l’idée de pousser les portes de leur magasin de joaillerie à Paris Place Vendôme).

 

Le fait d’associer les ama et leurs traditions de pêche à la production perlière de la région était inévitable au fond. Probablement les ama ont été utiles pour Mikimoto dans ses recherches afin de développer sa technique de culture de la perle.

 

Des fantasmes tenaces

Entre les récits sur la culture des ama et aujourd’hui des grandes mutations sociales sont apparues. L’avènement de la photographie, la libération des mœurs au Japon notamment après la seconde guerre mondiale, le tournant capitaliste et l’internationalisation du Japon en sont quelques unes.

 

En 1925, il y avait déjà des cartes postales souvenir avec comme effigie les ama.

Les ama fascinent car à l’origine on a bien une culture matriarcale qui perdure. Ces groupes de femmes solidaires sont aussi libres, libres de leur image et libres de ne pas se conformer aux carcans de la société. Si j’insiste sur ce point c’est que les ama à l’origine plongeaient presque nues dans l’océan, vêtues d’un pagne. C’était cela la combinaison des ama. Aujourd’hui c’est la combinaison de plongée classique avec des palmes.

 

Le changement de combinaison à adopter est une étape intéressante. La brochure fournie par la ville de Toba explique que suite à un voyage en Corée (car oui les ama ne sont pas qu’au Japon il y a aussi des ama en Corée !) la combinaison blanche aurait été adoptée.

L’autre explication rejoint l’idée de l’évolution des mœurs. D’ailleurs, l’ombre de Mikimoto, cet entrepreneur qui a révolutionné la culture des perles, plane dans ce changement. Il était en effet soucieux de l’image que renvoient les ama pour faire venir les touristes internationaux qui s’intéressent à son empire de la perle.  Pour ne pas choquer l’œil occidental on va donc demander aux femmes de se couvrir d’une combinaison blanche. C’est cette anecdote que raconte Robert Guillain dans son livre où il explique que cette nouvelle combinaison, au début une simple chemise de coton blanc qui colle à la peau, n’est pas forcément très pratique dans un premier temps car elle garde le froid, ce qui n’arrange rien avec le vent et occasionne des coups de froids aux ama si ce n’est pas une bonne pneumonie.

 

Quels enjeux pour les ama aujourd’hui ?

Depuis le 3 mars en 2017 la technique de pêche des ama des villes de Toba et Shima est inscrite en tant que patrimoine culturel immatériel des pratiques folkloriques du pays ( 国の重要無形民俗文化財). Ce besoin de reconnaissance et de protection du patrimoine est important quand on pense à deux enjeux majeurs que rencontrent les ama aujourd’hui.

 

Le premier c’est la diminution constante de leurs prises de pêche (漁獲量の減少). D’ailleurs, c’est quand la pêche des ormeaux commence à se raréfier en 1965 que le tourisme prend le pas avec notamment des posters de la région avec les ama pour effigies.

 

Le second est le vieillissement de leur communauté et le manque de sucesseures (高齢化等 により 後継者 不足). En 2012, les ama de Toba et Shima se sont regroupées en association pour préserver à la fois leur culture, leurs revenus issu de la pêche mais aussi promouvoir leurs pratiques sur le plan touristique.

Est-ce que cela sera suffisant pour préserver les valeurs et les modes de vie de ce groupe ?

 

Une autre piste évoquée par un article de France 24 serait que la communauté s’ouvre à de nouvelles femmes souhaitant les rejoindre mais étrangères à la région. L’article mentionne dans la municipalité de Toba, la ville de Osatsu où la communauté serait favorable à accueillir de nouvelles recrues souhaitant se lancer dans le métier. Osatsu est aussi la ville de la municipalité de Toba qui compte le plus d’ama (140 en 2007). Il nous reste à voir combien de plongeuses ama continuent ce métier à Osatsu en 2021 !

 

Pour avoir un condensé très bien expliqué sur les ama, je vous recommande ce documentaire d’arte.

 

Sources :

 

Documentaire d’arte publié en mars 2021 par l’association du tourisme de la ville de Toba アルテ「旅への招待」~海女、日本の海の守護者~

-Site internet de la ville de Toba, 海女サミット2017 in 鳥羽, https://www.city.toba.mie.jp/suisan/bunka/ama.html

-Article de France 24, “Au Japon, les dernières “femmes de la mer””, 23/11/2018 https://www.france24.com/fr/20181123-japon-dernieres-femmes-mer

-Aventure Japon de Robert Guillain, p 193

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