Un autre regard sur le Japon

Expérience, Zoom interculturel

Le sens du service au Japon est-il irréprochable ?

Photo : Vue depuis le Mont Tsurugi (剣山) à 1955 m, préfecture de Tokushima

Une des choses qui ne passe pas inaperçue aux yeux des étrangers se rendant au Japon, c’est le sens du service en général « irréprochable ». Alors oui, il peut être « irréprochable  » mais il dévoile plus généralement d’autres aspects de la société japonaise qui valent la peine d’être remarqués. 

 

Les exemples sont intarissables quand il s’agit, de faire l’éloge de la tradition du omotenashi (お持て成し), le sens de l’hospitalité en japonais. 

 

Cela tient à des détails mais cela est poussé à un niveau inimaginable pour nos propres standards. 

Il ne suffit pas de faire son travail, il faut y mettre tout son cœur.

Cela faisait partie des premières impressions ressenties à mon arrivée au Japon (cf un de mes premiers articles) où l’on apprend que l’étiquette est intimement liée aux émotions et au respect des autres.

 

Imaginez que vous arrivez dans votre hôtel et qu’une hôtesse vous amène à votre chambre. Elle vous accompagne à l’ascenseur mais ne monte pas avec vous. Bien positionnée en face de la porte de l’ascenseur elle vous fait un ojigi(お辞儀), une courbette et les portes se referment parfaitement sur son salut.

 

Quelques secondes plus tard, arrivés au premier étage, les portes s’ouvrent et l’hôtesse est là, comme par magie à vous attendre…a-t-elle couru dans les escaliers pour venir jusqu’à vous ? Et bien peut être que oui.

 

Irréprochable et qui vous place de suite dans un rapport hiérarchique

Au Japon on attend d’un employé qu’il s’efface dans l’organisation et cela se fait notamment par l’utilisation du keigo et le port d’un uniforme.

 

En tant que client on s’adresse à vous en keigo et cela donne le ton.

Ce n’est pas juste vous vouvoyer, c’est littéralement vous mettre sur un piédestal qui vous sépare de vos interlocuteurs. 

 

Une variante que j’ai entendue et qui est d’ailleurs appréciée des touristes à Toba dans l’ouest du Japon, c’est quand les vendeurs cherchent à instaurer une proximité. Dans ce cas, ils interpellent le chaland en les appelant ane-san (あねさん) ou nii-san (にいさん)respectivement pour une femme et pour un homme et que l’on peut traduire littéralement par grande soeur et grand frère.

 

C’est le cas des plongeuses ama par exemple qui veulent instaurer un rapport moins conventionnel et qui savent que leurs interlocuteurs seront sans doute étonnés de savoir qu’elles sont de vraies ama. C’est une manière plus touchante mais toujours respectueuse d’appeler le client et de marquer cette rencontre de façon un peu spéciale dans leur quotidien.

 

Irréprochable et difficilement flexible par rapport aux règles

Une des illustrations les plus simples pour vous montrer ce rapport aux règles est le cas de la ponctualité.

 

Côte vendeur par exemple, au Japon l’heure c’est l’heure. Dans une manifestation de promotion à Tokyo pour la vente de produits locaux, au moment de la fermeture il y avait une barrière physique pour empêcher les clients de rentrer et la fermeture était annoncée à grande voix. Pas d’achat de dernière minute, tout le monde s’active à ranger et fermer pile à l’heure.

 

Voici un autre exemple cette fois-ci du côté client. Récemment avec des amis nous avons profité d’une source thermale, onsen, et dans la même structure se trouvait un restaurant. La dernière prise de commande se trouvait être à 14h30. Il se trouve qu’après avoir profité du onsen nous avons en effet passé commande à 14h25 pour 4 pizzas. Quelques minutes plus tard, un des employés nous a présenté des excuses en nous expliquant que seulement 3 des 4 pizzas pourraient être préparées et qu’il nous fallait enlever une pizza. 

 

Pour nous il était difficile de comprendre comment une fois avoir décidé que la dernière commande était à 14h30 il pouvait y avoir un tel résultat. Probablement le serveur en se rendant en cuisine s’est fait passer un savon. Impossible de préparer 4 pizzas dans les temps ! 

 

Irréprochable et difficilement flexible par rapport à la forme 

Il y a au Japon une manière presque correcte de faire toute chose, un cahier des charges à suivre et que l’on apprend une fois que l’on est intégré au sein de l’organisation. Connaître ce cahier des charges, c’est faire partie intégrante de la philosophie de l’organisation.

 

Par exemple, si un restaurant de ramen a décrété qu’à chaque arrivée d’un client il faut l’accueillir avec un bruyant « irasshai » et puis un « arigatou gozaimashita » par toute l’équipe de façon unanime, à son départ, vous pouvez être sûr de l’entendre à tour de bras à chaque va et vient d’un client. C’est l’ambiance qu’ils veulent donner au restaurant. Cela montre qu’ils sont occupés, cela resserre l’équipe etc. J’essaye de m’imaginer la même situation dans un restaurant français…je cherche toujours.

 

Parfois le cahier de charge est suivi précisément et sa complexité peut laisser perplexe le client. 

 

Par exemple, dans un magasin spécialisé dans le pain de mie d’Hokkaido à Paris, tenu par des japonais, j’avais prévu d’acheter une miche entière pour préparer des sandwichs et je suis donc venue à la première heure la récupérer. Lorsque je demande à la couper en 12 tranches on m’explique que ce n’est pas possible. Le pain est trop chaud, il faut revenir dans une heure. Imaginez dans une boulangerie française si on vous donne la même raison, vous n’irez probablement plus dans cette boulangerie !

 

Parfois la complexité est telle que trahir la forme reviendrait à trahir la réputation, la philosophie même de l’entreprise. Quitte à refuser des clients, il faut rester fidèle à la forme. D’un point de vue externe nous pensons que c’est un manque à gagner, pour les Japonais c’est une question de principe. Comment les choses sont faites est plus important que ce qui est accompli 1

 

Irréprochable car on sait mieux que vous comment les choses se font 

Au Japon, sans grande surprise, le respect de la culture et de l’autorité est très fort. C’est pourquoi même lorsque vous êtes un client, si vous voulez quelque chose qui va dans le sens contraire de la culture japonaise vous allez rencontrer des difficultés.

 

C’est ce que raconte avec plein d’humour Sheena Iyengar au tout début de sa conférence the art of choosing 2 .

Elle a l’habitude de prendre son thé avec du sucre mais quand elle demande du thé vert sucré, la serveuse probablement ébahie (sacrilège on ne sucre pas le thé vert) lui répond que ce n’est pas possible. C’est culturellement impossible.

 

Dans la même veine, la personnalisation de plat au Japon sera peut-être mal vue ou refusée. A minima elle surprendra pour sûr les gérants. 

 

Sheena Iyengar explique que le rapport au choix est culturel. Nous avons tendance à partir du principe que si un choix nous impacte alors c’est à nous qu’il convient de décider, c’est aussi un moyen d’affirmer notre individualité. Dans les pays d’Asie de façon générale, le fait de choisir n’est pas seulement un choix individuel. C’est un moyen de renforcer le sentiment d’appartenance au groupe et l’harmonie. On préfère parfois laisser les choix à des personnes en qui nous avons confiance ou qui ont suffisamment de savoir dans le domaine. 

 

Irréprochable car on sait mieux que vous ce dont vous avez besoin

Dans les chaînes américaines de café qui sont l’exemple même de la culture occidentale du choix par excellence, une tasse de café vient avec plusieurs questions. Vous voulez votre café avec ou sans sucre ? Avec du lait? De la crème ? Avec du lait de soja ? Serré ou allongé ?…au Japon on ne veut pas se préoccuper de ces questions, c’est la responsabilité de l’hôte de préparer le café que vous allez apprécier.

 

Le psychanalyste Takeo Doi l’explique dans son expérience aux Etats-unis. Face à autant de choix pour une simple boisson, l’auteur affirme qu’une hôtesse au Japon vous sert quelque chose en disant « voici quelque chose en espérant que ça vous plaira » 3.

 

Parfois l’hôte prend cette mission très à cœur. Il m’est déjà arrivé de voir un ami se faire dire,  alors qu’il voulait un café serré, « non je sais ce dont tu as besoin », et à l’hôte de lui faire un café serré mais plus allongé. 

 

Irréprochable les premières fois 

Pour finir sur une note plus ouverte, les situations décrites ci-dessous montrent le sens du service principalement pour des clients et des vendeurs qui échangent pour la première fois. Une fois que vous connaissez les gérants, un autre type de rapport peut s’installer et le sens du service peut varier. Comme décrit dans plusieurs articles, le lien humain est très important sur le long terme et cela touche aussi les vendeurs et les habitués.

 

Voici deux exemples récents pris dans mon café préféré à Toba. Je connais bien les gérants et je leur ai demandé s’ils n’envisagent pas comme cela se fait déjà ailleurs, d’encourager leurs clients à amener leur propre bouteille ou contenant pour éviter de continuer à utiliser leurs gobelets recyclables en échange de quelques yens en moins pour encourager ce type de comportement. 

Ils m’ont répondu que si j’apportais mon propre thermos ils le feraient. Et bien c’est désormais le cas. Je pense qu’on peut bien parler d’une ouverture d’esprit surtout pour une petite ville comme Toba.

 

Voici un deuxième exemple toujours dans le même café. Un jour, je me suis trouvée en présence d’un touriste américain ne parlant pas japonais mais souhaitant donner un pourboire à la gérante. Il m’avait demandé de l’aider à traduire car il était intéressé par le travail artistique d’une des employées qui était exposé dans la pièce. Il voulait leur donner plus. Hors au Japon on ne donne pas de pourboire, cela ne fait pas partie de la culture. Sans que j’ai besoin d’intervenir, la gérante avec beaucoup de tact m’a regardée et m’a dit « J’ai compris. Dis lui dans ce cas que c’est très gentil et que je garde l’argent pour le donner à l’artiste, je lui dirai qu’il était très content de son travail et que cela vient de lui. Je suis sûre que cela lui fera plaisir. »

 

Je ne vois pas de plus belle flexibilité dans ce cas là ainsi qu’une forte intelligence émotionnelle !

 

Sources :

 

(2) The art of choosing Sheena Iyengar • TEDGlobal 2010, ()

(3) Takeo Doi, ‎ Le jeu de l’indulgence de l’auteur japonais, L’Asiathèque – maison des langues du monde, 1 septembre 1991 ()

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