On présente la culture japonaise, et la culture de nombreux pays d’Asie comme des cultures à haut contexte (high context). Cette notion a été définie par l’anthropologue Edward T.Hall et elle peut être qualifiée de culture « où les relations sociales sont très étroitement liées à un rôle prédéfini par la société. La communication ne concerne pas exclusivement la transmission d’informations mais également la transmission d’émotions. »1
Pour un occidental, la manière de communiquer va paraître plus indirecte, plus subtile et plus polie en surface. A quel signe faut-il être attentif pour détecter le vrai message ?
Après avoir analysé le rôle joué par les excuses au Japon (dans cet article), passons maintenant à la communication dans la culture japonaise. A travers des exemples du quotidien voyons en quoi celle-ci nous apparaît plus indirecte ?
Attention toutefois, ce type de communication n’est pas réservé au Japon. Il existe en France aussi. Plusieurs anecdotes que je raconte ici pourront vous faire penser à des conversations avec des collègues ou des amis.
Tout est bon pour préserver l’harmonie
Il est courant que des Japonais prétendent s’intéresser à une personne ou à un sujet que celle-ci évoque dans le but de ne pas froisser leur interlocuteur. Dans d’autres cultures ce type de comportement va être entaché d’hypocrisie alors qu’au Japon, il est presque attendu. C’est une marque de respect pour les personnes qui vous entourent, l’important étant de préserver l’harmonie des relations.
Parler de la pluie et du beau temps est aussi une des premières choses qui vient naturellement au quotidien. Ici oublier la subtilité, on affirme l’évidence.
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- 今日は寒いですね?
- そうですね、寒いですね。
- kyou wa samui desu ne
- sou de ne samui desu ne
- Il fait froid aujourd’hui vous ne trouvez pas ?
- Oui c’est vrai il fait froid.
D’un œil plus anthropologique je dirais que le message sous-entendu est un acte de reconnaissance. Il signifie : « je ne te connais pas spécialement mais je t’ai vu et je veux quand même te mettre à l’aise et échanger avec toi et par là te montrer que je te respecte ».
Dans la même veine, il y a une expression très courante pour les Japonais envers les étrangers que je mets personnellement au même rang que le discours sur la pluie et le beau temps. Il s’agit de l’expression « nihongo jouzu desune ». On peut la traduire par « qu’est-ce que vous êtes doué en japonais ! » . Ne vous trompez pas, ce n’est pas parce que vous avez un très bon niveau de japonais que l’on vous fera à priori ce compliment. Sociologiquement parlant, il s’agit d’une des premières phrases qui vient en tête des Japonais lorsqu’ils rencontrent un étranger qu’ils ne connaissent pas et que ce dernier baragouine quelque chose en japonais. C’est la marque de reconnaissance… de l’étranger. C’est d’ailleurs ce dernier point qui est parfois douloureux pour certains étrangers qui habitent depuis des années au Japon et qui continuent d’entendre ce « compliment » à tour de bras.
Le message sous-entendu serait « Tu es étranger et tu dis des mots en japonais, je te reconnais et je te respecte » ( et aussi partiellement je ne sais pas trop comment t’aborder donc faire un compliment sur ton japonais est toujours une bonne porte d’entrée).
Pas de refus direct d’une demande
Dans le cas d’une invitation à laquelle on ne peut ou ne veut pas participer, le refus ne sera pas directement exprimé. Si le mot « muzukashii », qui signifie compliqué ou difficile, est prononcé, alors vous pouvez être sûr que votre interlocuteur ne peut pas ou ne veut pas venir.
Pas la peine de demander pourquoi cela lui est difficile, le choix de ce mot signifie à lui seul qu’il ne faut pas insister.
De la même façon si un ami(e) qui a longtemps vécu au Japon vous répond suite à une de votre invitation « Ah… je pense que ça va être compliqué », sa réponse est une traduction littérale de la traditionnelle réponse japonaise.
なかなか難しいです…
nakanaka muzukashii desu…
Cela va être plutôt compliqué…
Vous pouvez clairement lui dire qu’elle ou il a décidément passé trop de temps au Japon !
Dans le cas d’une demande pour un service auprès d’une entreprise, là encore le refus direct n’est pas de mise.
Le salarié de l’entreprise s’adresse aux clients en keigo, et dans le cas d’un refus il va utiliser des tournures plus longues et bien spécifiques.
Par exemple l’un des mots clés dans ce cas est l’emploi de moshiwakearimasen ainsi que certains verbes du registre poli tel que kanemasu (兼ねます) que je peux traduire par « être dans l’impossibilité de faire quelque chose » ou des adverbes tel que sekkaku (せっかく) qui signifie « avec beaucoup de difficulté ».
Là où le refus est de rigueur : les cadeaux et les faveurs
C’est effectivement une situation où vous pouvez vous en donner à coeur joie dans l’utilisation du non japonais, iie (いいえ). Dans ce cas, je vous invite à le répéter trois fois en faisant non de la tête, avec un léger plissement des yeux. Vous commencez ainsi doucement à maîtriser le refus poli d’une faveur.
Dans le cas d’une faveur ou d’un cadeau il existe un accord tacite: une personne polie n’acceptera pas directement quelque chose qui lui est proposé; c’est à la personne qui propose d’insister. Il est d’ailleurs assez courant de voir une personne d’abord refuser deux fois une faveur avant de l’accepter quand la personne qui offre insiste pour la troisième fois.
Voici deux exemples.
Le premier se passe au travail. Il est courant de s’offrir des friandises entre collègues (cf cet article). C’est une chose dont les Japonais ont l’habitude. Une personne part en mission ou en vacances et à son retour il ramène une spécialité de la région en question. Lorsqu’à mon tour j’offre une friandise à mes collègues, il n’est pas rare que l’on me réponde honto? daijoudesuka? Vraiment ? je peux ?
Nous sommes tous des acteurs. Dans cet exemple, la personne a envie de manger mon gâteau et j’ai envie qu’elle le mange, mais l’échange entre les deux actions marque l’attention du geste puisque je dois insister. Cet échange me « grandit » puisqu’il a aussi lieu au sein du travail où je suis entourée par mes autres collègues qui sont très sensibles à ce type d’attention.
Le deuxième exemple m’a marquée depuis mon adolescence. Il provient du livre Le jeu de l’indulgence de l’auteur japonais Takeo Doi.2
L’auteur se rend aux Etats-Unis dans les années 50 car il a obtenu une bourse pour étudier la psychiatrie aux Etats-Unis. A son arrivée, exténué par son voyage, il se rend chez un chercheur Américain dont il a eu le contact via un ami japonais et chez lequel il va dormir. L’Américain lui demande s’il n’a pas faim et lui propose de lui servir de la glace. A ce moment, en bon japonais M. Doi lui répond que non merci, il n’a pas faim. Pour lui ce serait malséant de répondre par l’affirmative surtout que c’était la première fois qu’ils se rencontraient, et au fond il n’attendait qu’une chose c’était que l’Américain réitère sa proposition. Mais voilà que l’Américain le prend au pied de la lettre et lui répond « comme vous voudrez », avant d’aller se coucher. Nous voila notre M. Doi bien confus et surtout affamé. L’auteur finit par conclure après ce choc culturel qu’un Japonais n’aurait jamais posé la question s’il avait faim, il lui aurait tout simplement offert quelque chose sans rien demander.
L’expression kuuki wo yomu(空気を読む)
Littéralement elle signifie lire (読む) l’atmosphère (空気). C’est une des expressions que l’on apprend rapidement au Japon et qui symbolise très bien ce qu’est une culture à haut contexte.
En français on traduit souvent trop vite cette expression par « lire entre les lignes » or il n’y a pas à comprendre de message caché à partir d’un texte, le message lui est dans « l’air ». L’autre expression qui peut venir à l’esprit est « avoir ou faire preuve de tact ». C’est pour moi l’expression qui se rapproche le plus car elle marque cette intuition de savoir bien se comporter, en fonction de la situation et des personnes avec qui on se trouve.
En français on fera référence au toucher, le tact dans les relations humaines, en japonais avec 空気を読む on mettra l’accent sur l’atmosphère de la situation. Au Japon, il faut ressentir cette atmosphère et en déduire quelle est sa place. Il y a aussi cette notion qu’il s’agit d’une chose à percevoir d’emblée, intuitivement. C’est ce « tact » que les Japonais apprennent à maîtriser depuis leur enfance et qui les suit dans leur vie de tous les jours. Cette habileté à analyser fait que les Japonais sont de façon générale beaucoup plus à l’écoute des autres et de l’environnement qui les entoure (contexte, non dits…).
Cette même expression est prise en exemple dans le livre The culture map d’Erin Meyer. Pendant une réunion internationale, un directeur japonais explique que dans son pays, une personne qui n’est pas à l’écoute de son environnement et des autres sera mal perçue par ses collègues ou par ses proches. Le même directeur souligne qu’une expression est devenue populaire en japonais KY (Kuuki wo Yomanai) pour désigner les personnes qui manquent de tact pour réagir de façon appropriée dans une situation donnée. Il met ensuite en application sa propre analyse de l’atmosphère de la réunion et la partage aux autres exécutifs. « Est-ce possible que le discours de notre PDG se cantonne seulement au sens des paroles prononcées ? N’y avait pas un sens plus profond au-delà de ses mots ? » Avant de demander la même chose aux autres directeurs à propos de leurs échanges. La gêne de l’assemblée devenue muette en dit long sur le fait que personne n’avait pensé à avoir ce type d’analyse.3
Selon l’auteure, le Japon se place à l’extrême de l’échelle des pays avec la culture à haut contexte.
Nous venons de voir plusieurs aspects généraux de la culture à haut contexte sur le plan de la communication au Japon. Un article sera nécessaire pour analyser ce même thème plus en détail dans un contexte professionnel. Espérons que cela ne soit pas compliqué !
Sources :
(1) Olivier Meyer, Edward T. Hall et les contextes de communication, 10/02/2020(↑)