Image : Creative Commons © SHori Attribution 4.0 International (CC BY 4.0)
Le rapport au religieux varie en fonction de chaque pays, il est aussi souvent plus vaste et complexe qu’on ne veut bien l’admettre.
Je pourrais parler de religions* au Japon mais comme le mot religion est associé pour moi à une conception occidentale du rapport au religieux, je préfère parler de croyances (ou peut-être est-il plus facile d’utiliser un autre mot pour quelque chose qui ne nous est pas familier, je vous laisse trancher).
Jean-Michel Butel, ethnologue, explique dans un article de la revue Tempura que le mot religion n’a commencé à être vraiment utilisé dans la langue japonaise qu’à la fin du XIXème siècle. Cette période correspond à l’époque Meiji ou après une longue période d’isolation le Japon s’est ouvert au reste du monde et s’est doté d’un système industriel en grande partie inspiré des pays occidentaux. Le côtoiement des religions monothéistes est donc récent. C’est sans doute une des raisons pour lesquelles, au Japon, appartenir à une religion exclusive n’a pas beaucoup de sens !
Alors attention ne simplifions pas trop non plus. Il y a au Japon deux croyances principales, le shinto, et le bouddhisme venus de Chine au VIème siècle. On compte également une minorité de chrétiens qui furent pendant longtemps persécutés. Pendant la dérive nationaliste du Japon, le shinto fut érigé en religion d’Etat et à cette époque, des temples, bouddhistes furent détruits. Ceci pour expliquer que les croyances ont elles aussi soulevé beaucoup de passions au Japon et je ne parlerai pas non plus des sectes qui sont aussi une réalité.
Dans cet article, je m’intéresse plus à l’héritage de ces croyances qui transparaît aujourd’hui dans mon quotidien. Ces croyances seraient à mon sens plus inclusives, plus pragmatiques voire je pourrais dire plus joyeuses d’une certaine façon.
Les matsuri : alliage de croyance et du sens de la fête
Les croyances sont très présentes dans le quotidien et notamment dans les matsuri, les fêtes religieuses qui ponctuent l’année.
Robert Guillain les décrit dans son livre Aventure Japon : « le passé ressurgit, on sort les costumes traditionnels, on oublie ses tracas quotidiens pour devenir un citoyen d’Edo du XXème siècle. Les matsuri abolissent le climat sévère du travail et de la hiérarchie , tout le monde est plongé dans un climat d’égalité, de bonne humeur qui lève la timidité et les interdits1 ».
Du sake et des boîtes de chocolat en offrandes dans les temples
Image : photo prise lors de la commémoration d’un temple récemment rénové à Toba
Oui, le bouddhisme semble compatible avec …les produits conditionnés. Pourquoi les dieux ne se feraient pas plaisir eux aussi avec des chocolats ou avec une canette de café.
Dans les temples et dans les maisons au Japon vous avez un autel, le butsudan (仏壇)où l’on trouve une photo des ancêtres ou des personnes aimées et respectées. Les familles leur font régulièrement des offrandes: j’ai vu récemment, une tasse de café offerte au petit déjeuner !
A Toba, le saké et le chocolat en offrandes ne sont pas des légendes urbaines. Finalement je trouve cela assez touchant comme marque d’attention.
L’espièglerie et l’absurde ne sont pas exclus
C’est vrai dans l’apprentissage du bouddhisme Zen.
On a peut-être cette image caricaturale de films avec comme personnage, un sage respecté qui ne peut pas s’empêcher de faire des farces et d’être moqueur. Une illustration plus concrète en sont les questions de méditation, appelées Koan, qui sont utilisées dans certaines école du bouddhisme Zen.
Ces questions comprennent un caractère parfois absurde qui sert à déstabiliser les jeunes moines et leur apprendre à ne pas se soustraire aux codes mentaux déjà établis. Le zen laisse la place au rire dans son enseignement2.
Cela fait du bien d’apprendre qu’il ne faut pas se prendre trop au sérieux.
Les dieux sont des produits dérivés parmi tant d’autres
Image : photo d’un furoshiki où figure les sept divinités du bonheur (七福神, Shichi Fukujin)
Pour continuer, avec le sourire, pas de problème non plus pour tourner les divinités en dérision, ou pour les transformer en personnages mignons.
Vous pouvez remanier leur image à votre guise du moment que le concept marketing fait vendre. D’ailleurs au passage, vous leur faites de la pub, pourquoi seraient-ils mécontents ? C’est d’ailleurs la même chose pour les personnalités historiques. Oui, au Japon un guerrier sanguinaire peut être mignon, au fond.
Cette appropriation commerciale du sacré est pour le moins déconcertante pour nos yeux occidentaux. Et en même temps, cela interroge notre rapport à nos propres croyances.
Un rapport au religieux plus pratique, plus terre-à-terre et plus utilitariste
Image : Photo d’un sanctuaire à Yokkaichi à Mie, pour honorer le dieu Inari
Dans le shinto, il y a ainsi un nombre infini de divinités et à l’inverse une même divinité peut être la gardienne de plusieurs groupes de croyants. Un des dieux les plus fascinants, je trouve, est le dieu Inari, la divinité de la richesse, du riz, et de la fertilité. Il est représenté par son messager, un renard blanc. C’est la divinité incontournable pour tous. Il est le dieu des agriculteurs, des épouses, des prostituées et des prisonniers.
Vous venez voir ces divinités presque par pur utilitarisme, parce que vous voulez quelque chose, comme trouver l’âme sœur, du succès , réussir votre examen, une bonne santé pour votre famille. Quand vous franchissez le torii d’un sanctuaire ou d’un temple, vous êtes là pour élever votre âme.
Dans la grande majorité, comme le décrit Mary Picone de l’EHESS, « aller au temple ou au sanctuaire fait partie des activités quotidiennes sans que y ait un élan de foi ou de dévotion particulière3».
Du fait du nombre de divinités, les sanctuaires et les temples font partie du paysage quotidien à la campagne, comme dans les grandes villes, et même si c’est entre deux grands buildings.
Un sens de l’hospitalité, sans rite d’entrée
Image : fête locale au sanctuaire Isawa de Toba
Ce paragraphe est plus difficile à écrire car il est sans doute le plus empreint de subjectivité. Chacun à son propre rapport aux croyances. Pourquoi trouverais-je une « croyance » plus inclusive qu’une autre ? Pourtant au Japon quand je vais dans un temple (bouddhisme) ou dans un sanctuaire (shinto) je respecte les croyances et les coutumes (par exemple dans les sanctuaires jeter une pièce de monnaie, saluer en s’inclinant deux fois puis taper deux fois dans ses mains, faire son vœu et terminer par une dernière inclinaison, avant de partir). Je ne me dirai pas que je fais cela parce que j’y crois. Je le fais par respect pour la tradition japonaise, pour m’avoir laissé entrer dans ce lieu d’histoire et respecté.
Car il y a un point que l’on m’a fait remarquer, c’est l’absence de rite de passage pour appartenir à une communauté de croyants du shinto ou du bouddhisme. Cela facilite ce sentiment d’une plus grande inclusion que je peux ressentir.
Un autre moment où les lieux de culte au Japon différent à mon sens, est le monde de la nuit. Il se dégage la nuit une atmosphère mystique quelque peu fascinante.
Une fois éclairés, les sanctuaires continuent d’accueillir les croyants et les curieux de passages. J’ai déjà vu un chat prendre possession d’un sanctuaire, il s’était tranquillement affalé sur l’autel et me narguait de loin.
Les dieux savent vivre avec leur temps
Image : une machine vient vous apporter un mikuji, une divination écrite sur un bout de papier, si vous lui donner 200 yen.
R.Guillain écrit à propos de la croyance shinto « le shinto sait se passionner du nouveau et célébrer l’ancien4 ».
Je trouve cette phrase assez juste pour parler des croyances au Japon qui ont un regard différent sur la technologie, qui ici compose avec le sacré.
Notamment, il y a quelques années, le Kodai-ji, un temple de Kyoto, a choisi d’exposer comme prêtre bouddhiste un robot, un androïde nommé Mindar. Pour le moment la présence de robot est rare mais le pas est franchi. Peut-être cela a un lien avec le fait que dans la croyance shinto toute chose, même un objet, peut-être habité par un esprit et mérite d’ être respecté. Ou est-ce purement une raison socio-économique et pratique des choses ?
En tout cas, allier le religieux, au jeux, à la technologie, voir au monde du divertissement, ce sont des choses qui ne me surprennent plus au Japon.
Pour finir sur une touche plus locale sur Toba, une des scènes du premier film de Godzilla est tourné dans un des sanctuaires du centre de la ville, le sanctuaire Kata. Pour la petite histoire Godzilla apparaît au large d’Ijika un quartier de Toba. J’ai découvert cela par hasard par un bénévole du sanctuaire qui était très fier de m’expliquer le lien entre le sanctuaire dont il s’occupe et le monstre sortie d’une dystopie humaine et environnementale.
Difficile à croire, mais pourtant vrai.
Sources :
(*) C’est un choix personnel et subjectif car dans le domaine de la recherche en sciences des religions on parle bien de la religion shinto et de la religion bouddhisme(↑)
(1) Robert Guillain, Aventure Japon, Paris : Arlea, 1997, p.328(↑)
2 Revue Koko #3 l’humour, p.73.
3 Revue Tempura N°4 : CROYANCES JAPONAISES
4 Robert Guillain, Aventure Japon, Paris : Arlea, 1997,p16