Laissons tomber le jeu de mot pour parler plus prosaïquement du port du masque au Japon.
Cette année 2023, le 13 mars a été une date charnière. C’est le jour où officiellement, il n’était plus demandé de porter le masque au bureau. J’ai donc franchi le hall de mon lieu de travail… démasquée.
Une annonce officielle du gouvernement s’est engagée à déclasser la Covid au rang des maladies de classe 5, comme la grippe, pour ainsi laisser le choix à ses habitants de continuer à le porter ou non en intérieur.
Mais voilà, entre l’annonce officielle du gouvernement et le moment où les Japonais enlèveront le masque, il peut se passer beaucoup de temps. Je vous donne dans cet article quelques clés de compréhension.
Aux origines de la culture du masque
Avant de venir au Japon et avant le corona, je me rappelle des réactions en France de personnes trouvant bizarre cette pratique de mettre des masques. Une attitude vue comme un « ovni » culturel parce que l’Occident n’en voyait pas l’utilité et les commentaires allaient bon train. Après le corona, la culture du masque a fait son apparition et force est de constater que les pays asiatiques ont eu sur nous un temps d’avance sur cette pratique.
Une vidéo de Let’s ask Shogo 1 explique très bien l’origine de la culture du port du masque au Japon. Le masque s’est généralisé avec la grippe espagnole de 1918-1920.
Porter un masque c’est se protéger des maladies. Et dans la langue japonaise la maladie est portée avec le vent. Le mot pour signifier un rhume, une grippe ou prendre froid se dit kaze (風邪) il se compose du kanji du vent et de celui du mal, de l’injustice.
風邪を引く
kaze wo hiku Attraper froid |
風邪を引かないでね
kaze wo hikanai dene Ne prend pas froid |
風邪です
kaze desu Je suis malade |
Mise à part les maladies, porter le masque c’est aussi se protéger d’autres désagréments comme le rhume des foins avec l’exposition aux pollens (Le Japon a planté une quantité impressionnante de conifères après la seconde guerre mondiale (cf cet article sur la forêt au Japon), ou la pollution de l’air.
Dans la même vidéo, le youtuber explique que finalement pour les Japonais le masque serait un bon moyen d’éliminer toutes sortes de stress.
Puis nous arrivons plus récemment à l’apparition de la pandémie de COVID.
Il est important de rappeler que la population japonaise est composée en grande partie de personnes âgées, une population plus à risque pendant la pandémie. Le gouvernement s’est donc concentré sur l’application stricte de mesures sanitaires pour les protéger et ainsi mettre au centre de la politique sanitaire ces électeurs âgés.
Aujourd’hui au Japon nous sommes désormais entrés dans la troisième année de restrictions sanitaires dans le domaine public et le port du masque s’est normalisé. Il n’ a jamais été question de mettre dans la loi le fait que le port du masque soit obligatoire comme en France avec un décret. Son port fait partie des habitudes des japonais.
Une anecdote me paraît intéressante, c’est celle de l’apparition de l’expression kao pantsu. Celle-ci a fait partie des mots nominés pour le prix 2022 You can shingo-ryukōgo taishō (2022ユーキャン新語・流行語大賞) qui sélectionne chaque année les mots les plus en vogue au Japon. Kaopantsu (顔パンツ) peut être traduit comme le syndrome du masque vide en français.
Cette expression est apparue en réponse au nombre croissant de jeunes adolescents gênés de devoir montrer à nouveau leur visage sans masque après les mesures contre le nouveau variant de l’infection à coronavirus (COVID-19). Il est composé du kanji du visage (顔) et du mot pantsu (パンツ) qui signifie sous-vêtements. Sortir sans masque, c’est comme sortir sans porter ses sous-vêtements, il est devenu une nouvelle peau qui ne nous quitte plus.
Le masque fait désormais partie du quotidien et certains Japonais trouvent d’autres arguments pour exprimer leur souhait de le porter. Ceux qui ne souhaitent pas montrer en public leurs expressions, leur dentition, ne souhaitent pas avoir à se raser (la barbe est mal vue au Japon) ou se maquiller continuent de le porter.
Pour donner une analogie en France, avec le port du masque et les restrictions sanitaires, certains d’entre nous étaient contents de ne plus faire la bise, une pratique sociale très ancrée mais dont ils préféraient se passer.
Comment s’en sort le gouvernement pour changer ces habitudes et aller vers…
Le retrait du masque
En mai 2022, lors d’une conférence de presse, Matsuno Hirokazu, le secrétaire général du Cabinet et porte-parole du gouvernement, a conseillé « d’enlever le masque en extérieur si l’on respecte les deux mètres de distance avec les autres personnes ». Je vous avais parlé de cette mesure notamment en faisant un parallèle avec la campagne cool biz.
Nous y avons vu que pour changer les comportements, il ne suffit pas d’affirmer publiquement que les gens ont le droit de ne pas porter de masque. Les Japonais savent depuis cette période qu’il n’est pas obligatoire en extérieur mais pourtant ils continuent à le porter.
La prochaine étape du gouvernement pour relâcher les contraintes, le 13 mars 2023, a été de changer le degré du risque sanitaire en déclassant la maladie et en expliquant qu’elle n’était plus considérée comme un risque élevé qui justifiait un port du masque constant.
Cette décision est aussi à mettre en parallèle avec l’approche du G7 qui va avoir lieu du 19 au 23 mai à Hiroshima (et dans d’autres villes). Toshimitsu Motegi, le secrétaire général du Parti Libéral Démocrate au pouvoir, a affirmé que les masques ne sont plus portés, en intérieur comme en extérieur, dans de nombreux pays et que le Japon devrait suivre la tendance mondiale.
Pourtant après trois ans de restrictions de COVID, les sondages donnent comme résultat que 1/4 des japonais continueront de les porter dans tous les cas 2.
D’où vient cette ambiguïté concernant le port du masque ?
Pour vivre heureux vivons masqués
Toujours dans la même vidéo de Let’s ask shogo, le youtuber explique dès le début qu’en regardant les statistiques des sondages concernant le port du masque, il faut différencier les gens qui souhaitent garder le masque de ceux qui le gardent pour préserver l’harmonie dans leurs relations.
Le port du masque au Japon est intimement lié à une pression sociale. Qu’on aime le porter ou non, la question est surtout, est-ce que les autres attendent de moi que je le porte ? Comment l’autre va se sentir si je ne porte pas de masque ?
Le youtuber explique de façon détaillée comment cette culture de préservation de l’harmonie du groupe est née et en quoi elle amène les Japonais à toujours prêter attention sur comment ils sont perçus par leur pairs pour s’assurer qu’ils font bien partie du groupe et qu’ils n’ont rien fait qui pourraient les en exclure. Cette façon de pensée a toujours une grande influence dans les comportements actuels* .
Le choix du report de la responsabilité sur l’individu
En conséquence, la non obligation de porter un masque est annoncée avec beaucoup de précautions comme par exemple au sein de mon lieu de travail.
« マスクの着用について 3月13日からマスクの着用は個人の判断が基本となります »
« A partir du 13 mars le port ou non du masque sera laissé au bon jugement de chacun ».
L’annonce avait comme argumentaire la structure suivante :
- Nous souhaitons aller vers un non port du masque plus généralisé au sein de nos locaux
- Cependant certaines personnes peuvent ne pas être à l’aise avec cette décision
- C’est pourquoi nous préférons laisser à chacun le choix
- Nous recommandons toujours de porter le masque dans des endroits de forte affluence ou des établissements hospitaliers
- Il ne sera pas toléré qu’une personne force une autre à porter ou à enlever son masque
Le masque devient une histoire personnelle mais elle est toujours intimement liée au contexte dans lequel les personnes se trouvent et doivent agir en conséquence.
En France le contenu de cette communication est presque exactement similaire car on recommandera par exemple toujours de porter le masque dans les transports en communs ou dans les hôpitaux mais dans la pratique les résultats sont très différents.
Après l’annonce dans mon lieu de travail, je dirais que 20% des employés travaillent désormais sans masque, les autres employés le gardent.
Quand le gouvernement français a annoncé que le 17 juin 2021, le masque n’était plus obligatoire à l’extérieur, le lendemain de l’annonce, une grande majorité des personnes avaient « tombé le masque ». Il faudra ensuite attendre le décret publié au Journal officiel du 14 mai 2022 pour qu’à partir du 16 mai l’obligation de porter un masque dans les transports collectifs soit supprimée 3
Mon ressenti est que le rapport serait presque inversé entre nos deux pays. Quand l’obligation du masque (inscrite dans la loi) est abolie, 80% des Français enlèvent le masque, alors qu’au Japon, on prend des mesures pour inciter les Japonais à ne plus le porter et 20% l’enlèvent.
Pour toutes les raisons évoquées précédemment il est difficile même pour les Japonais qui souhaitent enlever le masque d’en faire autant car ne pas porter le masque c’est ne pas suivre la majorité et attirer l’attention.
Pour changer les habitudes, le rôle des modèles est aussi crucial. Par exemple ce n’est peut être pas un hasard si dans les 20% des personnes concernées sur mon lieu de travail, plusieurs sont chefs ou cheffes de division, le rang le plus haut. Ces chefs comprennent l’importance de montrer l’exemple. Dans une culture de travail où les employés chercheront avant tout l’accord de leur chef avant de passer à l’action, si votre chef n’a pas le masque vous serez plus à même, vous aussi, de l’enlever…
To be continued
Je terminerais le sujet avec une anecdote qui est arrivée la semaine de l’annonce marquant la fin de l’obligation du port du masque en intérieur. En me rendant dans un hôtel de Toba, la caméra thermique postée dans le hall me crie dessus ainsi qu’à la plongeuse ama (comme moi non masquée) un joli « merci de porter un masque ! ». Donc oui toutes ces habitudes vont prendre un peu de temps avant de changer.
Sources :
(1) Let’s ask Shogo, Why You will be Forced to Always Wear Masks in Japan(↑)
(2) Site Internet journal Mainichi, « 1 in 4 still to wear masks in Japan despite eased COVID rules: poll », 12 mars 2023(↑)
(*) Note personnelle : cette pression sociale est plus difficile à ressentir pour toute personne qui ne sera pas typée asiatique. Si cette pression est ressentie par tous les habitants au Japon, je dirais qu’elle est moins forte à l’égard des étrangers qui se démarquent déjà par leur apparence. Les regards insistants, les remarques ou voire les personnes qui s’énervent contre ceux n’ayant pas de masque sont pourtant une réalité de cette pression sociale.(↑)
(3) Site Service public, Fin du port obligatoire du masque dans les transports en commun à partir du 16 mai 2022, 16 mai 2022(↑)