Photo : banc d’algues aosa, parc national d’Ise-Shima
Les algues sont très présentes dans la culture japonaise, le pays où elles seraient les plus consommées 1 , alors que leur intérêt en France est tout récent. Il y a quelque chose que les Japonais ne comprennent pas.
Nous avons bien des algues sur nos côtes, pourquoi n’avoir jamais envisagé de s’en servir comme moyen de subsistance ? Ce sont des légumes de la mer après tout. Comme l’herbe de nos prés, pourquoi les avoir jusqu’à nos jours délaissées ?
Aristote, l’un des 1ers biologistes que l’histoire européenne ait connu, a classé les algues tout en bas de l’échelle de sa « chaîne des êtres »2. Nous ne partons pas sur les mêmes bases.
L’image de l’algue ne renvoie pas à la même conception dans nos deux cultures. Au Japon, il a un lien direct avec l’alimentation. En France, je dirais que manger des algues est l’apanage des aventuriers et des curieux ! Les algues interrogent donc notre rapport à notre culture culinaire.
Au Japon, une présence dans l’histoire qui dépasse le cadre de alimentaire
Les algues ont par exemple servi de moyen de paiement de l’impôt comme cela fut spécifié dans le code de Taihō (大宝律令) de 701. C’était le cas des algues arame, wakame, tengusa 3.
L’algue nori en faisait aussi partie et sa valeur était plus chère car très prisée. Les algues étaient aussi appréciées comme médicaments et comme offrandes dans les rituels shintô. On retrouve aussi la mention des algues dans la littérature (poésie) et dans les croyances populaires. Un bon exemple est l’algue kombu présent dans la cuisine préparée au nouvel an appelée osechi (おせち), qui est censée être synonyme de bon augure pour la nouvelle année car les syllabes de kombu rappellent celles du verbe yorokobu (喜ぶ) « se réjouir, être joyeux ».
Nous sommes bien loin de notre vision européenne quand on pense à Virgile dans son épopée l’Énéide où il déclare « Rien n’est plus vil que les algues ! »2..
Dans un tout autre domaine, j’ai aussi appris au Musée de la mer de Toba que l’algue miru (ミル), très esthétique dans sa forme, était aussi utilisée comme motif sur des kimonos de Kyoto.
« Dessine-moi une algue ! »
L’ approche plus scientifique, la phycologie, l’étude des algues, est loin de se limiter au Japon. D’ailleurs la page en français de Wikipedia qui liste les phycologues comprend 157 noms 4 (et étrangement tous ceux répertoriés sont occidentaux ce qui montre le besoin toujours latent de nous-même et pour Wikipedia de s’ouvrir sur d’autres cultures).
Disponible en accès libre sur Openlibrary, se trouve l’oeuvre majeure de Okura Kintarō, le père de la phycologie japonaise, publiée grâce à son élève Yamada Yukio entre 1907 et 1923 et qui a l’avantage d’être à la fois en japonais et en anglais. Elle répertorie 1006 espèces.
Un autre exemple sont des herbiers dédiés aux algues que j’ai pu voir au centre de recherche sur la pêche de Toba où une impressionnante collection est répertoriée avec des algues de toutes formes et couleurs (algues vertes, brunes et rouges).
Produire des algues, mais pas n’importe comment
Outre la connaissance scientifique des algues, leur production est très importante au Japon. Si dans le monde, la Chine est de loin le plus grand producteur, (59,5 % de la production d’algues en 2020 5 ).
Le Japon reste un des producteurs majeurs (le 6eme mondial ) et sa production a continué d’augmenter en 2020 6 .
Depuis que je suis à Toba, j’ai appris que les algues, comme les légumes, suivent le rythme des saisons. On ne trouve pas des algues japonaises « toute l’année ».
On raconte que l’algue japonaise wakame aurait fait son introduction en France un peu par hasard car accrochée à une huître japonaise (pour le lien historique entre la France et la Japon concernant les huîtres je vous renvoie vers cet article ). Elle a ensuite été produite en Bretagne dans les années 80. Cette algue s’acclimate donc bien aux côtes bretonnes.
La présence de banc d’algues est synonyme de bonne santé de l’écosystème marin. Les crustacés qui sont prisés des Japonais se nourrissent de ces algues. Un banc d’algues signifie la présence d’une faune importante.
Soit dit en passant, les algues nous apportent beaucoup plus que nous ne le pensons. La moitié de l’air que nous respirons provient des algues 7 .
La question des textures
C’est fort de ces connaissances que les Japonais ont réussi à appréhender les algues et à dévoiler leur saveur. Un exemple flagrant est la variété des textures qui elle aussi est très culturelle.
Les algues peuvent être en paillettes au dessus d’un plat comme l’okonomiyaki, croustillante quand on croque dans l’onigiri frais (une boule de riz enveloppée d’une feuille de nori), fraîche en salade ou un peu caoutchouteuse, mais aussi baveuse, liquide, pâteuse, voire en gelée avec l’agar-agar.
Cette diversité est intéressante mais elle est pour l’œil occidental intrigante voire presque rebutante pour certaines textures.
La question de notre rapport à l’alimentation
C’est que nous touchons à un rapport au culturel quand nous parlons de cuisine et d’alimentation. Pour les occidentaux nous n’aimons pas l’idée de manger quelque chose ballottée par l’écume et sentant le bord de mer 8 .
Nous avons par contre un bon à priori sur les algues grâce à l’influence de la cuisine japonaise dans nos imaginaires. C’est pourquoi quand on évoque des algues, nous pensons surtout à des plats japonais. La cuisine aux algues sera cantonnée aux salades (wakame et concombre) et aux soupes (la soupe miso), des algues mélangées avec le riz pour faire des onigiri que l’on appelle furikake (振りかけ) ou alors pour utiliser une feuille de l’algue nori pour faire des makis et onigiri.
Photo : rayon de furikake dans un supermarché
Mais ces plats sont japonais et cela reste un défi pour nous de les cuisiner tant cette culture s’éloigne de la nôtre.
On peut essayer de faire comme dans l’autre culture mais on peut aussi l’incorporer à des recettes ou des plats qui font partie de nos références culinaires, qui nous « parlent ».
Par exemple, je vous partage une recette d’un pesto aux algues. Pour cela, j’ai choisi l’algue aosa (アオサ), la laitue de mer ou ulve (nom scientifique : Ulva spp) qui est produite et traitée à Toba et dont le goût est subtil mais pas trop prononcé.
Recette du pesto
La préparation est très simple : on met tous les ingrédients dans un bol à mixeur et on mélange le tout. Je prends comme mesure un mug (contenance à peu près 250-280 ml)
- 1 petite gousse d’ail
- 1/2 mug d’algues déshydratées
- ¼ mug de pignons
- 1/3 mug d’huile d’olive
- 1/2 mug de fromage parmesan frais
- 1 c. à soupe de sauce soya
Vous m’en direz des nouvelles.
****
Plus j’apprends sur les méthodes de préservation, d’étude, production et consommation des algues, plus je trouve personnellement qu’elles méritent qu’on leur donne une place digne de ce nom. Leur préservation est d’autant plus cruciale quand on connaît leur potentiel vis à vis du changement climatique. Je vous recommande ce documentaire d’arte «Les algues vont-elles sauver la planète ? », avant que celui-ci ne soit retiré de la toile.
Vous verrez aussi la consternation de chercheurs sur notre indifférence aux algues. Il est grand temps de nous y mettre.
Alors prêt à essayer ?
Sources :
(1)Le grand livre de la cuisine japonaise, Laure Kié, Editeur Mango, 2015 p.25 (↑)
(2) Vincent Doumeizel la révolution des algues, Éditions équateurs 2022 p.9 (↑)
(3)Site internet du comité de promotion de la santé par les algues, 海苔で健康推進委員会 (↑)
(4) Liste des phycologues, page wikipédia(↑)
(5) The states of world fisheries and aquaculture 2022, Organisation pour l’alimentation et l’agriculture (FAO)(↑)
(6) Figure 15 Production distribution of selected main species groups and type of aquaculture 2005-2020, The states of world fisheries and aquaculture 2022, Organisation pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) (↑)
(7) « Les algues vont-elles sauver la planète ? » documentaire ARTE Série documentaire scientifique (Allemagne, 2021, 26.04min) disponible jusqu’au 29/01/2023 (↑)
(8) « Seaweed: Should people eat more of it? », BBC News, 4 Mai 2012 (↑)